In ze mood, le blog d'humeur de Dominique

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Par le petit bout de la lorgnette : Une histoire sans « e »?

E

n cette veille de scrutin, je laisse la parole à l?éditorialiste du journal « Le Monde », qui à quelques nuances près reflète mon état d?esprit :

Editorial

Résister au désenchantement démocratique

C'est une drôle de campagne qui s'achève. Elle fut ennuyeuse, vide, insignifiante, a-t-on entendu. Elle ne se serait animée qu'avec l'irruption de petites polémiques au contenu symbolique fort mais au fond dérisoire, de la viande halal au permis de conduire.

Il y a bien eu la primaire socialiste, la perte du triple A, l'horreur de Toulouse, la surenchère entre candidats " antisystème ", la constance du favori et l'inconstance du sortant, le combat des trois challengers pour la médaille de bronze, l'essoufflement des " petits ", le match des meetings...

Malgré ces épisodes successifs, une certaine morosité s'est imposée dans le pays. C'est que le moment est marqué par l'empreinte d'un événement historique majeur, la crise économique la plus grave qu'ait connue le monde depuis celle de 1929. D'abord américaine et financière, cette crise est aujourd'hui européenne et industrielle et menace de devenir morale et politique. Jamais, sous la Ve République, une élection présidentielle ne s'était inscrite dans une période d'incertitudes et d'inquiétudes aussi fortes pour un pays désormais totalement imbriqué dans le monde.

Cette crise, qui n'en finit pas de faire sentir ses funestes effets, a tout changé. Elle a pesé sur le climat de la campagne comme sur les projets affichés. Elle explique largement que, face aux trois grands enjeux de la France de demain - l'emploi, l'Europe et l'environnement -, les candidats aient pu donner l'impression d'avoir, tous, adopté une stratégie d'évitement. Ils ont pris en compte ces enjeux, certes, mais sans réussir à présenter de véritables perspectives, à la fois désirables et crédibles.

Les Français sont appelés à choisir leur président de la République. Ils étaient en droit d'attendre de chacun une vision, une ambition pour le pays. Comme dans le roman de Georges Perec La Disparition, les prétendants à l'Elysée leur ont finalement raconté une histoire sans " e ".

" E " comme emploi. La crise a naturellement remis l'emploi et le pouvoir d'achat en tête des préoccupations des Français. Le chômage est le cancer de nos sociétés, disait-on il y a trente ans déjà, dans une triste formule. Source de désespoir et d'exclusion, il s'est en réalité aggravé et a été accompagné d'une précarisation accrue et d'une extension de la grande pauvreté. " Ensemble, tout est possible ", avait proclamé, il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy. Le candidat de la " rupture " se faisait fort, à l'époque, de réhabiliter la parole du politique. Les Français ont voulu y croire. Son volontarisme n'a pas permis d'inverser la tendance. Son échec, sur ce plan-là tout particulièrement, est interprété comme un signe supplémentaire, l'ultime pour beaucoup, de l'impuissance du politique. Il a alimenté un sentiment de résignation que les candidats n'ont pas vraiment réussi à contrecarrer.

Comment réanimer la machine à créer des emplois, comment relancer la croissance ? Sur ce thème, essentiel, les pistes évoquées ont été nombreuses, les réponses peu convaincantes.

A l'instar des Français, plus réalistes qu'on ne le croit, les candidats savent, tous ou presque, que la crise de l'économie française (son endettement notamment) est bien plus grave qu'ils ne le proclament en meeting, qu'il faudra, tôt ou tard, comme tous nos voisins européens sans exception, procéder à des ajustements brutaux - dans nos finances publiques, dans notre Etat-providence et dans notre organisation industrielle. Mais ils ont préféré se cacher la face, nous voiler la vérité. Le temps d'une campagne sans doute. Ils se sont retrouvés, chacun à leur manière, en faisant porter le chapeau à l'Europe, un commode bouc émissaire, l'" Europe passoire ", l'" Europe allemande ", l'" Europe de la rigueur "...

" E " comme Europe, justement. Avec ses institutions froides et anonymes, ses directives mal comprises et la lourdeur de son fonctionnement, l'Union européenne telle qu'elle est ne saurait plaire. L'Europe est pourtant, plus que jamais, notre avenir - notre choix au Monde depuis longtemps. La petite musique anti-européenne qui a animé toute la campagne nous a été particulièrement désagréable. Elle est surtout inquiétante pour la suite. L'Europe n'est pas qu'un continent, un marché, une puissance, elle est un ensemble de valeurs que le prochain président se doit de défendre. L'Europe, c'est, sur le front politique, la démocratie représentative, les libertés publiques, l'état de droit, la laïcité, l'ouverture et la tolérance. C'est, en matière économique, une organisation originale qui veut concilier efficacité économique et justice sociale, liberté individuelle et solidarité collective, solidarité à l'intérieur de chaque nation, entre les Etats qui la composent et avec les pays les plus pauvres de la planète. Ces " modèles " sont peut-être en crise. Ce n'est pas une raison pour renoncer aux valeurs qui les sous-tendent. D'autant plus que l'Europe est, face au monde multipolaire qui se construit, la seule réponse possible pour la France - en matière de sécurité tout autant qu'économique.

" E " comme environnement, enfin. Ce monde de 7 milliards d'habitants fait face à un autre défi maltraité dans la campagne, celui de l'environnement. " Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. " Depuis que Jacques Chirac, président, avait prononcé cette formule au Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, l'incendie a progressé. Des catastrophes " naturelles " en série, une biodiversité qui se dégrade, un réchauffement climatique qui se confirme et s'accélère. Lors de la présidentielle de 2007, le " pacte écologique " de Nicolas Hulot s'était imposé comme l'un des passages obligés pour chaque candidat et avait conduit l'élu, Nicolas Sarkozy, à engager, dès le début de son quinquennat, le Grenelle de l'environnement. La crise économique n'a pas atténué la crise écologique. Elle l'a malheureusement écartée des priorités de nos prétendants. Ailleurs en Europe, les Verts réussissent à faire exister leurs problématiques ; moins en France. De fiscalité écologique, de stratégie énergétique ou d'éco-industrie, il ne fut que peu question. La sortie de crise passe pourtant par un nouveau modèle de croissance, qui voit dans l'environnement une source d'opportunités plutôt qu'un handicap.

Malgré toutes ces insuffisances, il ne saurait être question de céder au désenchantement démocratique que l'on sent monter dans le pays, chez les jeunes notamment. La tentation de l'abstention ou du vote blanc est forte. Il ne faut pas y succomber. Ce dimanche, il faut aller voter. D'abord parce que c'est un droit durement acquis que nous envient tous ceux qui, dans le monde, en sont privés. Parce que, ensuite, en dépit de la vulgate du moment, ce scrutin offre de véritables choix. Parce que, enfin, il y a parmi les prétendants des personnalités qu'il faut impérativement écarter - car elles constituent un danger pour la démocratie, la République et les valeurs que l'on a rappelées. L'adage politique dit que, " Au premier tour, on choisit, au second, on élimine ". Pour qu'entre les deux tours le vrai débat puisse avoir lieu, il faut, cette fois-ci, s'assurer qu'au premier tour on aura éliminé !

Erik Izraelewicz



21/04/2012
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